Daniel Spoerri

20nov(nov 20)9 h 00 min31déc(déc 31)18 h 00 minDaniel SpoerriHommage

Détails de l'événement

Hommage à Daniel Spoerri (1930-2024) « La cuisine, c’est un peu comme la danse, elles ont au moins deux points communs : elles dépendent des gestes, et chaque performance est une nouvelle création impossible à répéter et perdue à jamais. C’est dans ce sens que les chorégraphies et les recettes se ressemblent. Dans les deux cas ce sont des essais de fixer un acte, autrement oublié pour toujours. » Daniel Spoerri, Journal gastronomique, Éditions Metropolis, 1998. Daniel Spoerri écrit ces lignes en 1967, en préambule à son Journal gastronomique qui se déroule sur l’île égéenne de Simi, où il séjourne à l’époque. La note introductive de Spoerri souligne la tension productive inhérente à son travail : son penchant pour le hasard et les actions éphémères, d’une part, et son attachement au monde des objets – l’objet en tant que véhicule d’affections et d’histoires -, d’autre part. Sa pratique peut être considérée comme une réflexion sur la manière de capturer des moments fugaces et de les rendre palpables.

Daniel Spoerri, né Daniel Isaak Feinstein, voit le jour en Roumanie, à Galati, une ville portuaire sur le Danube, le 27 mars 1930. Il survit aux pogroms de 1941 au cours desquels son père, un missionnaire luthérien d’origine juive, est assassiné. Un an plus tard, Spoerri, âgé de douze ans, s’enfuit avec sa mère et ses frères et sœurs en Suisse. Il grandit à Zurich, où il découvre l’art par la danse et le théâtre. Après avoir débuté une carrière de danseur à Paris au début des années cinquante, il devient premier danseur au Stadttheater de Berne en 1954. Il chorégraphie un ballet en couleurs pour son ami Jean Tinguely qui en conçoit le décor mobile. De 1957 à 1959, Spoerri se tourne vers le théâtre et l’écriture expérimentale, travaillant comme assistant metteur en scène au Landestheater de Darmstadt. Son intérêt pour la poésie visuelle et le travail d’édition l’amènent à créer la revue de poésie d’avant-garde Material et à fonder les éditions MAT (Multiplication d’art transformable).
Daniel Spoerri entame sa carrière d’artiste à Paris en 1960 lorsqu’il signe le manifeste du Nouveau Réalisme en tant que cofondateur du groupe. Il acquiert une renommée internationale grâce à ses tableaux-pièges. En mars 1963, à l’occasion de son exposition 723 ustensiles de cuisine à la Galerie J à Paris, Spoerri conçoit une série de dîners thématiques, dont un menu d’homonymes Menu-Hommage à Raymond Hains et un dîner carcéral Menu de prison, transformant l’espace de la galerie en restaurant pour plusieurs soirées (Restaurant de la Galerie J). Les repas préparés par Daniel Spoerri ont été servis par des écrivains et critiques d’art parisiens de renom, tels que Pierre Restany, dont les ACA conservent les archives.

Parmi les nombreuses autres réalisations importantes de son parcours éclectique, Daniel Spoerri est considéré comme l’inventeur du Eat Art. Il ouvre le légendaire « Restaurant Spoerri » à Düsseldorf en 1968, pour lancer ensuite la « Eat Art Galerie » en 1970 juste au-dessus de son restaurant, où il accueille un programme remarquable d’événements et d’expositions, entre autres de Joseph Beuys, Robert Filliou, François Morellet, André Thomkins ou Emmet Williams. De 1978 à 1989, en tant que professeur et enseignant (d’abord à l’École d’art et de design de Cologne, puis à partir de 1983 à l’Académie des beaux-arts de Munich), il réalise divers projets et banquets thématiques en collaboration avec ses étudiants. À Paris, en 2002, Spoerri met en scène le Restaurant Spoerri de la Galerie nationale du Jeu de Paume (sous la direction de Daniel Abadie) dans les espaces d’exposition, où il active en tant que « Chef Daniel » une série de dîners Eat Art, parallèlement à l’exposition de ses « Menus-pièges », produits collectivement in situ.
Daniel Spoerri considère l’acte de manger et de boire comme une partie intégrante du cycle de la vie et de la mort, de la décomposition et de la renaissance. Au cœur de son travail se trouve la remise en question constante des habitudes (alimentaires), des perceptions sensorielles et des traditions établies de longue date qu’il entend bouleverser (ce qui témoigne de son intérêt pour les renversements), tout en explorant, entre autres, la notion de rituel (social).
Ces réflexions critiques sont également en jeu dans les dîners expérimentaux de Spoerri. Leur forme performative lui permet de mettre en relation l’esprit dialogique et collaboratif qui sous-tend son travail et les fondements conceptuels, les gestes spécifiques et les contextes dont chaque banquet est issu.

Un ensemble de 8 dîners-performances a été acquis par le Centre national des arts plastiques (Cnap) à Paris en 2021 [Dîner carcéral (1963) ; Dîner La cuisine des pauvres du monde (1972) ; Dîner Astro Gastro – Cuisine 12 étoiles (1975) ; Dîner de la Société Homonyme (1976) ; Dîner Un coup de dés n’abolira jamais le hasard (1980) ; Dîner Les œufs sont faits / Les jeux sont faits (1980) ; Dîner de St. Valentin (1980) et Dîner Palindrome (1993)]. Cette acquisition a donné lieu à un projet de recherche ambitieux « Eat Art – Dîners de Daniel Spoerri – œuvres immatérielles réactivables », mené en partenariat avec l’Université Rennes 2 (UR Histoire et critique des arts) et les Archives de la critique d’art.
Pendant la majeure partie de sa vie, Daniel Spoerri a mené une existence nomade lui permettant d’emprunter de nouveaux chemins et de réaliser de nouveaux projets – notamment des jardins, des musées d’artistes et des rituels de guérison – sans jamais perdre de vue ses amis et son réseau artistique. L’infatigable vagabond, initiateur/catalyseur d’un nombre étonnant de projets pionniers, a quitté ce monde le 6 novembre à Vienne. Il nous appartient plus que jamais de reprendre les traces (im)matérielles éparses que Daniel Spoerri a laissées, dont les dîners-performances sous forme de « protocoles à réactiver » constituent un exemple éloquent, et de nous engager collectivement dans son art à portée sociale pour le maintenir en vie.

Anja Isabel Schneider
Lauréate du projet « Eat Art – Dîners de Daniel Spoerri – oeuvres immatérielles réactivables », partenariat Cnap / Aca / UR « Histoire et critique des arts » de l’université Rennes 2 (2024-2025).

Anja Isabel Schneider est titulaire d’un doctorat en études curatoriales de l’Université catholique de Louvain (Belgique) et spécialiste de la performance. Elle est la directrice-fondatrice d’APA Press (Paris/Madrid) et a été chercheuse associée au programme de recherche ARTEA (Madrid).

Image
Tableau piège (extrait) « Le petit-déjeuner », 1965. Fonds François Pluchart, INHA-Collection Archives de la critique d’art, Rennes.

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Date / Heure

20 novembre 2024 9 h 00 min - 31 décembre 2024 18 h 00 min(GMT+00:00)