Editorial

Repenser l’utopie
Redefining Utopia
Maria Stavrinaki

Ce numéro de Critique d’art, aux contenus politiques d’un article à l’autre, éclaire une actualité éditoriale, en France et à l’étranger, attentive à la position de l’artiste au sein d’une réalité tant fluctuante que conflictuelle. Il ressort de ces pratiques et de ces discours une urgence et une transversalité inédite. La figure de l’artiste engagé revient avec force. Elle se manifeste grâce à son insertion à part entière dans les débats ouverts par les Sciences humaines et sociales, et avec l’exigence de l’apport de solutions allant bien au-delà d’une fonction critique. Dans les deux cas, il s’agit de définir ce qui fait la spécificité du travail d’un artiste, la part irréductible et non-équivalente de ses compétences comparativement à d’autres types de savoir et de pratiques cognitives et sociales. La question est complexe, notamment du fait de la porosité qui caractérise les pratiques cognitives et sensibles. Car s’il est vrai que les artistes entrent de plain-pied dans le champ de la recherche, les chercheurs adoptent eux aussi des procédés a priori artistiques et fictifs pour mener et présenter leurs propres enquêtes. Avec les premiers cénacles romantiques et saint-simoniens, constitués comme autant de communautés incarnées ou contre-modèles d’une réalité mécanique, abstraite et centrifuge, la tache de l’artiste commença à être envisagée comme celle d’une médiation privilégiée entre l’esprit, quel qu’il soit, et le sensible. […]

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From one article to the next, this issue of Critique d’art is highly political, shedding light on recent publications in France and abroad, while carefully examining the artist’s position within our fluctuating and troubled reality. These practices and discourses reveal a sense of urgency and an unprecedented form of transversality. The figure of the committed artist has returned in full strength, through a wholehearted involvement in debates introduced by the humanities and social sciences, and a dedication to providing solutions broadly exceeding their critical function. In both cases, it is a question of defining what makes an artist’s work specific, what is irreducible and idiomatic about his or her skills, compared with other types of cognitive and social practices and knowledge. This is a complex question, particularly because of the characteristic porosity of cognitive and sensible practices. For although it is true that artists have fully entered the field of research, academics have also started using processes to conduct and present their own research which, on the face of it, may seem artistic or fictional. At the time of the first Romantic and Saint-Simonian circles, established as so many embodied communities and counter-models to a mechanical, abstract and centrifugal reality, the task of the artist began to be considered as the privileged mediation between spirit, whatever the latter may be, and the sensible. […]